Je me définis psychanalyste parce que je crois à l’importance déterminante de notre histoire infantile et à la nécessité de la revisiter pour nous libérer de nos blocages.
Pour moi, un adulte qui va mal est un « enfant » qui n’a pas pu grandir, faute des conditions nécessaires: Quand les frustrations affectives ou les traumatismes ont été trop importants, les conditions ne sont pas là pour laisser libre cours à des associations d’idées ( la personne ne peut plus penser !) ou se prêter à l’Analyse du Transfert: la personne est en fait dans un » repli » par peur d’être détruite.
Elle n’a pas la Sécurité de Base affective.
D’autre part, pour être en relation, il faut avoir une « suffisamment bonne » image de soi ou n’être pas trop gêné par des symptômes, des angoisses qui débordent et paniquent…
Souvent, quand le patient arrive, il est dans la confusion, il n’a pas de prise sur ses difficultés, il est perdu ( il s’est perdu!). Étant dans une d »dépendance inconsciente à ses parents et au schéma relationnel qu’il a eu avec eux, il raisonne avec des » principes de bases » erronés. Donc il y a un blocage.
Il est en panne. La dynamique de vie est perturbée. La personne ne peut plus avancer.

Donc, j’agis en tant que psychothérapeute; je mets en confiance, je rassure pour créer des conditions favorables à l’analyse et au changement
Et pourquoi je fais cela?
Cela m’amène à définir la conception que j’ai de mon travail ; je le vois plus comme un rôle de parent que comme un rôle de médecin.
Quel est le rôle d’un parent ? Avant tout : Aimer.
Aimer, c’est respecter la « personnalité en devenir » du jeune enfant. Ne pas avoir de projet sur lui. Bien sûr, ne pas l’utiliser. On lui ‘donne’. Mais c’est pour lui, pas pour soi !
Lorsqu’un parent va bien, il trouve son compte à ressentir le bien-être de son enfant, il est heureux de son bonheur, il est heureux et fier de sa différence, de son Autonomie.
Mais pour qu’il arrive à l’Autonomie, un enfant doit avoir ‘reçu’ beaucoup.
La « Satisfaction » permet l’autonomie, l’Insatisfaction (excessive) l’empêche ! ‘Lorsqu’une personne est ‘avide’ d’affection, c’est donc toujours le signe qu’elle cherche quelque chose qu’elle n’a jamais eue et non qu’elle ne veut pas renoncer à quelque chose qu’elle a eu en trop grande abondance dans son enfance’. (Alice Miller, ‘ C’est pour ton bien’)
Dans le cas des patients, c’est moins simple car ils ont souvent perdu la capacité à recevoir des bonnes choses. Boris Cyrulnik (‘Les vilains petits canards’) dit qu’à à peine un an, on commence à échafauder la théorie de l’esprit ( déjà on relativise le monde des perceptions) qui attribue aux autres des émotions, des croyances et des intentions.

Il en résulte différentes formes d’attachement selon la relation qu’on a eue avec la mère, la forme la plus perturbée ayant pour conséquence un attachement désorganisé.
Une observation expérimentale a ainsi pu mettre en évidence que dans ce cas, les bébés n’ont pas pu élaborer des stratégies comportementales tranquillisantes et exploratrices. Ils ne savent ni utiliser leur mère comme base de sécurité quand elle est présente, ni s’y tranquilliser quand elle revient.
Dans ce petit groupe (5%) la stratégie est curieuse. L’enfant se fige quand la mère revient, parfois s’approche d’elle en détournant la tête, ou même la tape ou la mord.
Un autre groupe ( 15%) manifeste un attachement ambivalent ; l’enfant est encore capable de ressentir le chagrin au départ de sa mère, mais son comportement est perturbé par sa présence; très peu explorateur!
Un autre groupe( 20%) manifeste un attachement évitant; l’enfant est capable de jouer et d’explorer en présence de sa mère mais pas de partager avec elle! Et quand elle revient il ne se précipite pas vers elle pour se sécuriser!
Il y a donc, dans 35% des cas, perturbation dans l’échafaudage de la manière d’aimer!
L’enfant a développé un « faux self » ou un self très faible. Je dois aider le patient à en prendre conscience pour qu’il se situe différemment, qu’il port un autre regard sur lui-même!
Lorsqu’il y a angoisse, symptôme, inhibition de la personnalité, c’est le patient n’a pas reçu le droit d’être lui-même. Il est ‘malade’ à cause d’un conflit intérieur entre son besoin impérieux d’être lui-même et l’angoisse de l’être puisqu’il n’a pu être aimé, accepté ainsi par ses parents…
Je dois recréer une Dynamique pour que la personnalité reprenne le cours normal de son épanouissement (Selon le concept de résilience de Boris Cyrulnik)
Il est nécessaire de parler au patient pour casser un système étouffant. Il est nécessaire de lui ouvrir les yeux.
Alice Miller dans « C’est pour ton bien » cite des passages de la théorie de la ‘pédagogie noire’ pour, dit-elle ‘ faire sentir au lecteur l’air que respire quotidiennement un enfant qui a subi cette pédagogie’ et pour nous aider ainsi à mieux comprendre la genèse de la névrose.
Ce n’est , dit-elle, pas un évènement extérieur qui se trouve à sa source mais le refoulement des innombrables moments qui font a vie quotidienne de l’enfant et que l’enfant n’est jamais en mesure de décrire parce qu’il ne sait même pas qu’il pourrait y avoir autre chose.
Dans ces cas, je dois donc être le ‘témoin secourable’ , celui qui dit à l’enfant; ce que tu as vécu n’est pas ‘normal’. je dois aider le patient à affronter sa dure Réalité, à reconnaitre la défaillance, voie la dangerosité de ses parents, à les remettre en cause plutôt que de s’y remettre d’une façon purement auto-destructrice!
‘Pouvoir exprimer des reproches contres ses propres parents est une chance: elle permet d’accéder à la vérité de soi-même, permet le dégel de l’affectivité, le deuil et même, dans le meilleur des cas, la réconciliation. En tous cas, elle fait partie du processus de guérison psychique »
Et surtout personne ne peut se construire seul- comme en témoigne Michel Dugué, romancier et poète:
Aucun de nous
ne tient seul
Il lui faut outre les os
Une parole fut elle économe
Alors le jour contemporain s’éclaire un peu
De son côté, Winnicott affirmait » le bébé n’existe pas ». Au départ il y a la diade: mère enfant, le bébé ne se définit qu’en fonction de sa mère, il n’a pas conscience de son individualité de son autonomie, de son existence. C’est la mère qui, par son mode de relation à son bébé, va lui donner peu à peu le sentiment de son existence. Le bébé va peu à peu émerger du ‘magma indifférence’ au fur et à mesure des ‘messages’ souvent inconscients que vont lui envoyer ses parents. Le bébé, l’enfant va s’en nourrir pour former sa personnalité.
Lorsque le « milieu familial » est bienveillant, sécurisant, la personnalité peut s’épanouir et l’enfant peut s’affirmer sans crainte ( d’être rejeté, hai, détruit…). Mais souvent et dans des proportions variable les parents sont incapables de procurer un environnement favorisant l’épanouissement de la personnalité car ils ont eux-mêmes été entravés dans l’épanouissement de la leur et n’ont pas remis leurs propres parents en cause, ni, par là-même, ce qu’on leur a fait subir!
Tant qu’il ne les a pas remis en cause, l’enfant se définit en référence à ses parents, puisqu’il n’en a pas d’autres…!
Les parents sont des modèles et même si le patient les critique, il s’agit d’une critique purement « intellectuelle » on assumée sur le plan émotionnel- Ce qui n’a donc aucun effet libérateur et ‘piège’ même encore plus la personne qui, ainsi, ne remet rien en cause mais croit le faire!
Mais comme le dit Alice Miller ( ‘le drame de l’enfant doué’) : « Un enfant ne peut vivre ses sentiments que lorsqu’il y a quelqu’un qui le comprend, l’accompagne et l’accepte avec ses sentiments. »
De son côté Guy Corneau parle de se libérer du carcan de la douleur physique ( dans le cas de la somatisation), de prendre conscience qu’il en existe une autre, proche de cette dernière, qui s’appelle la « douleur émotionnelle ».
C’est ce que je m’efforce de faire retrouver à mes patients.
Jung avait, lui aussi, très bien vu le rôle du traumatisme dans la genèse de la névrose. En 1990 il écrivait:
« Ce qui marque le plus l’enfant qui grandit c’est l’état affectif particulier qui est totalement inconscient à ses parents et à ses éducateurs. La mésentente cachée entre les parents, les tourments secrets, les désirs refoulés et dissimulés, tout cela crée chez l’individu un état affectif qui trouve lentement mais sûrement, même si c’est inconscient, son chemin vers l’âme enfantine et engendre en elle exactement le même état…Si les adultes sont déjà si sensibles aux influences de l’environnement, on peut prévoir qu’il en est de même et dans des proportions encore plus importantes chez l’enfant dont l’esprit est encore tendre et malléable comme de la cire.«
L’enfant est dans l’impossibilité de se donner raison sans l’Approbation d’un autre.
l’enfant qui a le sentiment de ne pas convenir, doute de plus en plus de lui-même et se sent même coupable de faire souffrir ses parents !
Arrivé à l’âge adulte, il va construire ses relations ( ou ne pouvoir les construire!) sur le même schéma relationnel qu’il a eu avec ses parents et sa fratrie- qui prend une lace quelquefois excessive quand les parents ne jouent pas leur rôle « abandonnent » en quelque sort leur enfant, le laissent pousser comme de la « mauvaise herbe ».
Les frères et sœurs peuvent devenir la première source de transfert: il est plus facile d’ailleurs d’en vouloir à ses frères et sœurs qu’à ses parents!
‘L’attente’ de reconnaissance et d’amour d’un frère ou d’une sœur est, dans ce cas excessive car il y a déplacement du besoin de bons parents sur la personne du frère ou de la sœur…
D’autre part, il ne peut y avoir ‘revendication’ que sur un terrain affectif. On ne peut rien ressentir, rien désirer face à du Vide; du rien… de l’Absence- par trop évidente!
Dans ‘l’enfant sous terreur’, Alice Miller, analysant l’enfance de Franz Kafka, dit qu' »un être qui a été aussi seul que Franz Kafka dans son enfance ne réussit pas, une fois adulte, à se trouver un ami ou une femme qui puisse le comprendre; il est constamment condamné à répéter l’expérience de l’enfance« .
Je dois donc recréer un terrain affectif grâce à une relation active ( Analyse directe) Méthode de psychothérapie d’inspiration kleinienne inventée par le psychiatre américain John Rosen pour le traitement des psychoses. Définition d’Elisabeth Roudinesco dans le dictionnaire de la psychanalyse :
C’est dans le cadre de l’évolution de la technique psychanalytique, et à la suite des grandes innovations proposées par les différents disciples de Sigmund Freud, que fut crée cette méthode ‘active’ par laquelle l’analyste intervient de façon directive, et parfois violente, pour donner des interprétations au patient en occupant dans le transfert la position d’une mère idéalisée ou d’une ‘bonne mère’. Il s’agit de compenser le moi faible du sujet par un environnement langagier renvoyant à la situation prénatale, afin de dépasser les déficiences et les carences de la relation archaïque à la mère’
Permettant ainsi au patient de se réanimer, de redevenir vivant, de pouvoir désirer à nouveau et exprimer ses désirs.
Pur ce faire, je dois m’intéresser à sa vie actuelle, le stimuler.
j’utilise aussi le Toucher qui , en diminuant le sentiment de Persécution favorise le transfert positif.
Certains patients n’ont , pour ainsi dire, jamais eu ce contact avec leur mère, or comme le dit Margaret Mahler ( médecin et psychanalyste américaine, grande spécialiste du traitement des psychose infantiles- 1897.1985):
« les sensations internes du bébé et du tout petit constituent le noyau du soi. Elles demeurent, semble t-il le point central, cristalisateur du « sentiment de soi » autour duquel s’établit le « sentiment de son identité« .
Et Suzanne Keppes, sexologue, psychothérapeute : » Nécessité de sentir son corps, pour que la sensation se transforme en pensée«
Je vais chercher le patient car il ne peut venir à moi, enfermé qu’il est dans un système de peurs ( de déplaire, donc de ne pas être aimé, d’être rejeté, abandonné »)
Je dois constamment le rassurer, l’encourager à être lui-même, lui dire et lui répèter qu’il n’est plus en danger, que la « catastrophe a eu lieu dans l’enfance, le reste, c’est de gâteau » ( Nancy Huston, écrivain), l’amener progressivement à séparer le passé du présent.
J’agis sur le présent pour remettre le passé en cause, et cette remise en cause du passé a un effet libérateur sur le présent.
Tout ceci se fait avec des Mots. Un enfant se construit avec des mots, c’est à dire qu’on lui apprend la vie aussi avec des mots. Dès la naissance, on nomme les choses, mais on met aussi des mots sur les expériences- On nomme les sentiments, les sensations, on explique…
Ce faisant, on permet à l’enfant de se familiariser avec la vie, d’apprendre la vie.
Oui, quelque fois c’est difficile-on le dit- et l’enfant ne se sent alors pas étrange, pas différent, pas stupide: les mots rassurent.
Alors que le silence plonge dans une solitude insupportable et dévastatrice.
La possibilité de communiquer change tout, se sentir compris change tout!
On ne peut ‘exister’ qu’avec quelqu’un !
D’autre part, un adulte qui va mal est un enfant ‘perdu’ à qui on n’a pas appris ce qu’il fallait et à qui on a appris ce qu’il ne fallait pas.
Il faut aussi désapprendre pour apprendre quelque chose…
Apprendre surtout un autre type de Relation à l’Autre et à soi-même!
Pour y parvenir, beaucoup de patients ont besoin d’une aide active, d’un investissement important de la personne du thérapeute pour sortir de leur torpeur, pour redevenir vivants.
Les laisser seuls est une répétition de la carence parentale et ne peut donc provoquer aucun changement! Ils restent alors dans un clivage intellectuel/émotionnel.
J’essaye de favoriser l’émergence de leur vie émotionnelle grâce à une relation rassurante..
Mais c’est de l’analyse, car j’ai toujours à l’esprit leur histoire familiale et même si nous nous occupons de leur difficultés présentes je leur fais prendre conscience des liens de ces difficultés avec leur passé dont ils peuvent ainsi se détacher progressivement…
Au début, je les aide à accéder à leur inconscient en attirant leur attention sur l’importance des rêves ( ‘voie royale d’accès à l’inconscient- Freud) dont , au début de la thérapie, ils ne souviennent souvent pas… et nous les interprétons…
Mon principe de Base étant qu’aucun être humain ne peut se construire seul et qu’un excès de frustration maintient dans la dépendance affective et la répétition dans les frustrations infantiles, je m’attache beaucoup à l’aspect Réparateur
( Margaret Little; » le manque est réel‘) et si nous devons démolir, j’aide à reconstruire.
Petit à petit, le patient se libère de la mauvaise image de lui, de son sentiment de persécution- grâce à l’expérience relationnelle positive qu’il peut faire avec moi (cf « Expérience inaugurale de plaisir » Winnicott)
Il ne se sent plus impuissant, plus paralysé par la peut.
Il peut agir pour lui-même et dans son intérêt.
Il peut être égoïste
Sa créativité se libère
Il a ses cartes en mai, il peut jouer
Il peut refaire confiance à la vie, jouer le jeu de la vie.
Il est libre!
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